Michèle Pedinielli – Boccanera
Pour la première fois, le Blogbook de Cassiopée a rencontré un auteur.
Michèle Pedinielli, auteure du remarqué Boccanera a eu la gentillesse de nous consacrer un peu de son temps.
Forcément, rendez-vous a été pris dans la belle ville de Nice, Nissa la Bella.
Toujours avec le sourire et les yeux émerveillés par le succès de son livre, elle se prête volontiers au jeu des questions-réponses.
Il faut croire que nous ne sommes pas les seuls à avoir aimé son roman, elle est nommée pour le prix Landernau du Polar 2018.
C’est pour toi, lecteur !
Le livre
Salut Michèle, peux-tu nous donner en quelques mots le pitch de ton roman ?
Je voulais parler de Nice différemment, hors des clichés que l’on véhicule sur cette ville : des touristes, des vieux pleins aux as, des fachos… J’ai donc écrit un polar pour parler de cette ville à ma manière, parler des gens qui y vivent, Niçois de toujours ou d’adoption.
Je voulais aussi un personnage de femme un peu décalée. Ghjulia – Diou – Boccanera a presque 50 ans.
Détective privée, elle est libre de ses mouvements pour agir comme elle l’entend.
Après le meurtre d’un ingénieur, puis celui du compagnon de celui-ci, son client, elle enquête à sa manière sans trop réfléchir au danger mais entourée de son colocataire, de son ex commissaire de police ou encore d’un inspecteur du travail syndicaliste.
Peux-tu nous parler plus précisément de ton héroïne, Diou ?
Diou s’appelle en réalité Ghjullia Boccanera. Personne n’arrive vraiment à prononcer son nom. Cependant tout le monde l’appelle par son surnom.
Diou est une femme forte et indépendante. La cinquantaine, elle est assez libre de choisir la vie qu’elle souhaite, elle est libérée de toute obligation familiale également.
Elle n’a pas d’enfants et n’a jamais voulu en avoir.
C’était important pour moi de lui permettre d’avoir ce choix. C’est également une liberté de la femme de choisir d’enfanter ou pas.
J’avais imaginé ce personnage et tout le roman en a découlé.
Elle est proche de moi, elle jure comme un charretier, comme moi par exemple, mais on a de grosses différences : elle ne boit jamais d’alcool !
D’ailleurs elle ne boit pas d’alcool car elle a un problème au foie. Je me suis inspirée d’un ami très proche aujourd’hui disparu qui avait le même souci.
J’imagine que tes personnages te ressemblent ?
J’ai mis évidemment beaucoup de moi et de mon entourage dans les personnages.
Le coloc, Dan, est inspiré d’un couple d’amis parisiens qui, lorsque j’allais chez eux, m’accueillaient comme une reine, me faisaient à manger, me soutenaient. Je leur rends hommage à travers ce personnage. Dan est un peu la conjonction des deux.
J’aime également beaucoup écouter les gens, les regarder, j’ai toujours maintenant avec moi un carnet pour noter des idées, des réactions.
J’ai beaucoup apprécié la galerie de personnages secondaires.
Oui ils ont tous leur importance et certains sont inspirés de personnages autour de moi. Je t’avoue qu’on va certainement les retrouver dans un prochain roman !
Le voisin d’à-coté, le coloc… Ils se sont tous imposés au fur et à mesure et ont évolué pendant l’écriture.
J’avais une trame, une idée mais les personnages ont pris leur place.
En fait c’est vrai ce que disent certains auteurs : on peut être débordé par nos personnages.
Le SDF allemand muet, par exemple, est apparu par hasard et ses caractéristiques aussi. La propriétaire du bar est inspirée de la propriétaire du bar de la Bourse.
J’ai donc beaucoup observé et me suis inspirée de tous ceux qui sont autour de moi.
La ville
Pour les auteurs de polar, la ville dans laquelle se situe l’action est importante, je pense en particulier aux Américains (Ellroy avec LA, Lehanne avec Boston).
Oui, et ici, la ville de Nice est un personnage à part entière.
J’ai aimé parler différemment de cette ville. Ville décrite à travers les yeux de Diou.
Je voulais parler de ce que j’aime mais aussi ce que je déteste tout en évitant la carte postale.
C’est étonnant mais le libraire de la librairie Masséna m’a dit, d’ailleurs, qu’il conseillait mon roman aux non-niçois afin de leur présenter la ville différemment.
Je considère que le polar est le dernier roman social. On te parle d’un lieu, d’un contexte.
Je n’aime pas quand c’est un type qui court derrière un serial killer et qui traverse une multitude de lieux voir de pays. C’est pour cette raison que j’ai décidé d’ancrer l’histoire dans un contexte : la ville en chantier.
Je m’appuie sur ce contexte car le schéma de mon polar est assez traditionnel.
A l’époque la veuve éplorée venait voir le détective pour qu’il enquête.
Ici, et c’est son côté moderne, l’enquêteur est une femme et c’est un jeune homme qui pleure la mort de son compagnon.
L’auteure
Ton premier roman est paru tard. Tu écrivais avant ?
J’étais journaliste. J’écrivais sur des faits. Mon imagination s’est alors asséchée.
Jusqu’en 2015 quand j’ai participé à un concours : Toulouse polar du sud.
Je déteste les concours mais je me suis lancée.
Il fallait partir d’une photo et faire une nouvelle de 6000 à 8000 signes.
Je suis arrivée 3ème. Les gens ont lu et ont aimé.
Et on m’a demandé « pourquoi n’écris-tu pas plus long ? » Ce n’est pas si simple mais je me suis dit que si je ne le faisais pas, je pouvais me faire écraser par un bus sans avoir essayé. C’était en 2015.
En fin d’année 2015 j’ai commencé à gratter et j’ai mis un an pour écrire Boccanera.
J’ai pris ce concours et cette nouvelle comme un exercice de style.
La nouvelle que vous pouvez encore consulter devait être un polar mais ça ne l’est pas vraiment, même s’il y a une tentative de meurtre.
Peux-tu nous parler de la construction de l’histoire ?
J’avais envie de ce personnage féminin et de l’affrontement final. D’une bonne castagne. J’avais le début, la fin, ne me manquait que le milieu ! Certains auteurs écrivent tout dès le début, la psycho des personnages… pas moi.
Je voulais réussir à faire un polar avec des femmes présentes.
Les codes du polar sont présents, évidemment, mais abordés différemment. Pas trop de flingues, pas trop de méga course-poursuite.
J’ai fait attention au rythme (mon histoire se déroulait sur 10 jours). J’avais noté que ça commençait un dimanche et je vérifiais la cohérence sur l’évolution de l’histoire.
Diou morfle pendant ce roman ?
Oui c’est ce que je voulais : que mon héroïne donne de sa personne, qu’elle ne soit pas dans du coton .
As-tu fait des recherches ?
Un peu, sur la géologie, sur le sous-sol niçois et sur les techniques de construction du tramway. J’ai appelé pour ce côté technique des maçons qui peuvent bosser sur des chantiers.
La femme de mon cousin m’a donné des conseils pour tout ce qui est blessures, médicaments.
Certains auteurs font des recherches pendant des mois, toi non à priori ?
Je n’ai pas fait de folles recherches avant, je deviendrai dingue. Quand ça se présentait je me renseignais sinon mon plaisir était d’avancer.
Il y a un côté réaliste mais un copain inspecteur du travail m’a dit que j’aurais pu plus pousser mes recherches !
Le fait que Diou ne soit pas policière me permet de lui faire faire ce que je veux.
Son ex, le commissaire, est tenu par une procédure alors que Diou agit par une intuition, fonce alors qu’un flic est tenu par un cadre. Quand elle reçoit un message anonyme, elle y va, elle n’hésite pas !
Ses influences
Es-tu une grosse lectrice ?
Oui, je lis de tout mais surtout du polar et du noir.
Il y a hyper longtemps j’adorais le couple suédois Maj Sjowall et Per Wahloo. Je trouvais génial la façon dont ils parlaient de la Suède à l’époque.
Henning Mankell j’adore également. Il a une écriture incroyable… Oh, non, il est mort je ne lirai plus jamais rien de nouveau de lui !
Les scandinaves ça marche toujours. Tu te laisses emporter, je pense à Camilla Lackberg aussi.
Les islandais également… Arnaldur Indridason que j’adore.
J’aime beaucoup le sicilien Andréa Camilleri, qui écrit à 90 ans, 1 ou 2 livres par an, avec la série du commissaire Montalbano.
Ah, la Sicile !
Sinon tous les américains : Craig Johnson avec les enquêtes du shérif Longmire. Ça se passe dans le Wyoming et j’en parle un peu dans Boccanera. Je l’ai rencontré et interviewé et il me racontait que chaque personnage a sa voix propre. Du coup dans son bouquin et le mien il n’y a pas « dit-il », « remarque-t-il », tu n’en as pas besoin pour savoir qui parle.
Normalement tu ne te plantes pas.
Un qui est vraiment noir dans son écriture, c’est Benjamin Whitmer avec notamment Cry father. C’est dur il ne t’épargne rien.
Les 2 derniers que j’ai lu des éditions Gallmeister, c’est Jake Hinkson avec son ouvrage sans lendemain et Samuel W. Gailey et son livre, une question de temps.
Ce qui est génial dans ces 2 romans c’est que les personnages principaux sont des femmes et que tout est crédible, aucun cliché. Que des hommes écrivent comme ça en faisant parler des femmes est incroyable .
Ça m’a fait la même impression avec le roman Lucy in the Sky de Pete Fromm.
J’aime, chez les américains, qu’ils ne parlent pas d’eux, de l’entre soi, de leur nombril…
J’aime également Vargas (qui n’est pas américaine mais est une femme) qui t’amène partout, c’est débridé.
Pour revenir à ton histoire personnelle, tu étais journaliste ?
J’étais en presse écrite. D’abord dans l’étudiant, puis j’ai pigé et enfin sur le web, à la préhistoire du web dès 1997.
Aujourd’hui je fais des articles pour retronews qui est un site média dédié aux archives de presse.
Quand j’étais gamine j’écrivais mais la nouvelle fut la première fiction aboutie.
Je sais écrire, j’aime ça mais ce n’était pas évident. Mon compagnon, mon premier lecteur, suivait régulièrement l’avancée de Boccanera. Quand ça a été fini, j’ai tout envoyé à Patrick Raynal, qui a aimé. Pour moi c’était incroyable !
Puis quand les éditrices ont lu et m’en ont parlé avec enthousiasme c’était magique. Merci l’aube Noire !
Tu es donc déjà sur une suite ?
Oui, c’est en cours. Je grattouille, je n’ai d’impératif, j’avance petit à petit.
J’ai à-peu-près le début et la scène de fin, c’est important pour moi !
J’ai des bouts au milieu il va falloir que ça entraîne la suite.
Sans trop en dévoiler l’histoire se déroulera entre Nice et Breil sur Roya, je reste dans le Countea de Nissa.
Diou ne peut pas trop s’éloigner de Nice car après elle s’asphyxie.
La Blogosphère
Est-ce que tu vas sur le net voir ce que l’on dit de ton livre. Est-ce que tu consultes les blogs ?
J’ai eu cette curiosité et j’ai également mon éditrice qui m’envoie des articles qui parlent du livre.
J’ai également ma page Facebook, sur laquelle des gens m’envoient des photos du bouquin, en Turquie, en Guadeloupe, à Londres…
Ca raconte une autre histoire, comme le nain de jardin d’Amélie Poulain. Boccanera en Guadeloupe, Boccanera à la plage…
Il se vend partout ton bouquin ?
Oui !! À Nice mais aussi à Paris, même en Vendée dans de petites librairies.
Je suis dans cette librairie 4ème sur les ventes de la semaine, juste devant Tolkien, tu te rends compte ?
Il y a des ruptures de stock très vite. C’est hallucinant ! A la librairie Jean Jaurès, le jour de la sortie, il en a vendu 147, ce qui est énorme !
Comment tu l’expliques ? 147 ça ne peut pas être que des amis…
Déjà, mon réseau évidemment. Même si ce jour là je n’ai rien vu, trop occupée à signer pendant que les autres buvaient des mojitos.
Puis j’imagine le bouche à oreilles.
La Fnac a fait un coup de coeur, à la librairie Masséna c’est conseillé.
Ensuite je vais faire plusieurs salons et festivals, le 17 et le 18 mars au Rouret, le 20 mars à la bibliothèque Louis Nucéra, à 17 h, pour une rencontre. Une librairie à St Ouen m’a contactée.
J’aime qu’à l’extérieur de Nice les gens voient que c’est une ville qui vit.
Par exemple dans l’art il n’y a pas qu’Armand et Ben. Des artistes vivent et créent.
J’ai voulu parler de ce dynamisme.
Et montrer que cette ville a une identité, une histoire populaire.
Une histoire d’immigration…
D’ailleurs tu abordes également la Syrie dans ton livre.
Oui j’ai voulu parler de Syriens qui ont un passé et qui méritent un futur.
La famille Syrienne ce sont des gens normaux.
Ce qui s’y passe ça m’empêche de dormir et en parler dans un polar, c’est plus léger qu’un pamphlet. Ca me plait de parler de cette femme qui avait un travail fantastique là-bas, qui a fait des études et qui ici galère complètement.
D’ailleurs même mon héroïne, Diou, n’imagine pas que cette femme était ingénieure dans son pays.
La femme a une place très importante dans mon bouquin. Il passerait d’ailleurs sans problème le test de Bechdel. Dans la vraie vie les femmes sont partout et moi en tant que femme je ne me suis jamais demandée si j’étais une femme. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont élevée comme un être humain et ne m’ont jamais renvoyée que j’étais une fille ou une femme.
Plus personnel, j’aime beaucoup courir, je crois que toi aussi.
Oh oui, ça fait tellement de bien. Ça vide la tête, ça structure mes idées. Et à Nice les paysages sont tellement magnifiques.
Partir du Mont Boron et courir tranquillement vers Villefranche avec la mer en contrebas c’est incroyable !
Mon héroïne est obligée de courir, elle n’a pas de voiture et sa Vespa est en rade !
Merci Michèle, nous avons adoré ton livre et j’espère que nous arriverons à convaincre les lecteurs du blog de découvrir Boccanéra.
Et je t’avoue que maintenant nous attendons la suite avec impatience !